A slight dizziness – Un léger vertige
Commenting on Bernard Réquichot’s Reliquaires (1957), Roland Barthes wrote: “Isn’t it the internal magma of the body that is placed there, at the end of our gaze, like a deep field? Thus, in some of her works – Bad tripes, 2022 – Céline Le Guillou invents forms that bring depth within reach of the eye and the hand, undecidable things, monochrome – Jusqu’à l’os, 2022 – or with molten colors and smooth glazes that insinuate disorder into our perceptions, calling for caressing while establishing a slight vertigo. In the same vein, she explores the infinite depths of drawing and painting, mixing mud, wax, oil and pigments in strange topologies – Sciatique Heaven, 2022 – where matter unfolds in fluid and uncontrollable forms.
On the subject of the body in the history of art, we might think of Jeanne de Bourbon’s recumbent corpse in the Basilique de Saint-Denis, her bag of viscera in her hand, the shapes of which we can only guess at, or Rembrandt’s sumptuous Boeuf écorché, which reveals the colorful meanders of the interior. And we could associate Claes Oldenburg’s soft sculptures or Robert Morris’s visceral sublimity, Eva Hesse’s organic objects in translucent latex, Franz West’s free, colorful and disquieting forms, Hélène Garache’s small parallel worlds, or Tatiana Trouvé’s objects of memory, whose apparent suppleness is made of marble or bronze. Céline Le Guillou’s work also reflects the history of the life and earth sciences: dissection boards, anatomical busts with modelled and removable reliefs, high-tech medical imagery, cartographies, coral and branches, earth and stone. For the boundary is uncertain between interior and surface, but also between the body – skin, sex, skeleton or viscera – and the very thing (Position, 2018; Arrières-trains, 2018).
In fact, if the clay, resin or papier-mâché things she models seem almost autonomous, secreting their own form in space – Allusive, 2018 -, it’s not so much in the formalist mode of the expanded polyurethane castings César created in the 1970s, as according to a new relationship with the living and the world in general, which now leads us to reconsider our overhanging certainties.
Her recent residency in Rio de Janeiro provided new material for her exploration and de-hierarchization of living things, from borrowing plant waste found in the Tijuca forest, to showing solidarity with the peasant women of Gamboa, who, in the face of the world’s disorder and violence, are inventing agro-ecological production.
In 1929, Yves Tanguy gave the title À quatre heures d’été, l’espoir (At four o’clock in the summer, hope) to one of his canvases depicting an imaginary space that we don’t know whether it’s air or water, a kind of “primordial soup” from which a new world might emerge. This is what Céline Le Guillou’s paintings – Osmose, 2023 – remind me of: spaces of air and water, landscape and body, on the threshold of a possibility to which she invites us.
For “Talweg” – a word that can designate an imaginary line connecting the lowest points of a valley, or a barometric hollow between two zones of high pressure – she establishes a dialogue between the pieces themselves, with the site, and with the viewer. A whole collection of objects “to be experienced”, like fragments of a world where the banal, the minor and the heterogeneous are endlessly recomposed into unusual landscapes.
Roland Barthes, commentant des Reliquaires (1957) de Bernard Réquichot, écrivait « N’est-ce pas le magma interne du corps qui est placé là, au bout de notre regard, comme un champ profond ? ». Ainsi, dans quelques-unes de ses œuvres – Bad tripes, 2022 – Céline Le Guillou invente des formes qui mettent la profondeur à portée de regard et de main, des choses indécidables, monochromes – Jusqu’à l’os, 2022 – ou aux couleurs fondues et glaçures lisses qui insinuent le trouble dans nos perceptions, appelant la caresse tout en instaurant un léger vertige. Elle explore, sur le même registre, les profondeurs infinies du dessin et de la peinture, mêlant boue, cire, huile et pigments, en d’étranges topologies – Sciatique Heaven, 2022 – où la matière se déploie en formes fluides et incontrôlables.
Du côté du corps dans l’histoire de l’art, on peut sous cet angle penser au gisant d’entrailles de Jeanne de Bourbon à la basilique Saint-Denis, son sac de viscères à la main, dont on devine les formes, ou bien au somptueux Bœuf écorché de Rembrandt, qui donne à voir les méandres colorés du dedans. Et l’on pourrait y associer les sculptures molles de Claes Oldenburg ou le sublime viscéral de Robert Morris, les objets organiques en latex translucide de Eva Hesse, les formes libres, colorées et inquiétantes de Franz West, les petits mondes parallèles d’Hélène Garache, ou encore les objets de mémoire de Tatiana Trouvé, dont l’apparente souplesse est faite de marbre ou de bronze. On verra aussi dans le travail de Céline Le Guillou l’histoire des sciences de la vie et de la terre : planches de dissection, bustes anatomiques aux reliefs modelés et démontables, imagerie médicale high tech, cartographies, coraux et branches, terres et pierres. Car la frontière est incertaine entre l’intérieur et la surface, mais aussi entre le corps – peau, sexe, squelette ou viscère – et la chose (Position, 2018 ; Arrières-trains, 2018).
D’ailleurs, si les choses d’argile, de résine ou de papier mâché qu’elle modèle, semblent quasi autonomes, sécrétant leur propre forme dans l’espace – Allusive, 2018 –, ce n’est pas tant sur le mode formaliste des coulées de polyuréthane expansé que créait César dans les années 1970, que selon un nouveau rapport au vivant et au monde en général, qui nous conduit désormais à reconsidérer nos certitudes surplombantes.
Sa récente résidence à Rio de Janeiro a fourni de nouveaux matériaux à sa démarche d’exploration et de déhiérarchisation du vivant, qu’il s’agisse d’emprunts de déchets végétaux trouvés dans la forêt de Tijuca, ou de solidarité avec les femmes paysannes de Gamboa inventant, face aux désordres et à la violence du monde, une production agroécologique.
En 1929, Yves Tanguy donna pour titre À quatre heures d’été, l’espoir, à l’une de ses toiles figurant un espace imaginaire dont on ne sait s’il est d’air ou d’eau, une sorte de « soupe primordiale » d’où pourrait émerger un monde nouveau. C’est à cette œuvre que me font penser les peintures – Osmose, 2023 – de Céline Le Guillou. des espaces d’air et d’eau, de paysage et de corps, à l’orée d’un possible auquel elle nous convie.
Pour « Talweg » – le mot pouvant désigner une ligne imaginaire reliant les points les plus bas d’une vallée, ou bien un creux barométrique entre deux zones de hautes pressions –, elle instaure un dialogue des pièces entre elles, avec le lieu, et avec le regardeur. Toute une collection d’objets « à vivre », comme autant de fragments d’un monde où le banal, le mineur et l’hétérogène se recomposent sans fin en d’insolites paysages.
Evelyne Toussaint, juin 2024